LEON OU LE ROI FILOU

 

Il n'était pas bien grand, mais grâce à sa malice et son intelligence c'était un géant.

Il était destiné à partir pour l'abattoir ; pendant 25 années il avait servi de mascotte à une association, et quand son physique a commencé à se dégrader, ses propriétaires ont décidé d'en faire faire du saucisson pour le remercier de ses bons et loyaux services, et d'en acheter un autre, ...tout neuf...

Voilà le triste sort qui était réservé à Léon, petit âne gris de Provence, à la robe mitée, avec une horrible blessure sur le dos due à une morsure de cheval jamais soignée, et qui avait viré à la tumeur sanguinolante. Les pieds longs, le poils rèche, et surtout trop vieux.

Une amie, m'a alors contactée pour me parler de Léon, elle le trouvait chouette mais elle ne pouvait pas s'en occuper. Moi, je venais d'avoir El Gato, et j'avais sa pension à payer, il fallait trouver une solution. J'en parle au Trésorier du Centre Equestre, qui connaissait mon côté "ange gardien des âmes en détresse" il a évalué la pension d'un petit âne à 100 F par mois ; ma copine était ravie, elle payerait la pension et moi je me chargerais de tout le reste, lui refaire une santé déjà, et m'en occuper en général. Léon est donc devenu l'ami d'El Gato, un grand naif avec un petit filou, c'était le couple d'enfer. Léon fut vermifugé, vitaminé, j'ai réussi à faire cicatriser sa blessure, un superbe poil est venu remplacé la carpette mitée, bref une véritable peluche grise. Mais son âge posait problème, il est vaillant et brillant certes mais malin et rusé comme un troupeau de petites souris.

Quand je lâchais El Gato en carrière pour s'amuser, je mettais Léon avec lui. Gato voulait toujours avoir le rôle du chef, et son jeu était de rabattre Léon dans un coin puis dans un autre, tant que Léon s'amusait, ça allait, puis lassé du jeune pître, il le mordait aux genoux, et le grand nigaud n'avait d'autres moyens de se protéger les antérieurs qu'en se mettant à genou, sa fierté en prenait un coup, mais il restait impuissant devant le petit gris. Enfin, au bout d'une demi-heure en général, Léon sans se préoccuper de qui que ce soit, se mettait à genoux et passait sous les barrières de la carrière pour aller faire un tour dans les écuries. Gare à celui ou celle qui pensait le remettre au box, oreilles couchées et oeil blanc dissuadaient les plus courageux sauf la Mémère, je le voyais faire et tant qu'il ne faisait pas de bétises, je le laissais, il n'a jamais mordu, ni tapé qui que se soit, c'était de la comédie. Il n'y a que notre boxer Jim, qui n'arrêtait pas de tourner autour de lui comme une grosse mouche et qui aurait exaspéré n'importe quel saint, c'est le seul que Léon a allumé, ça a calmé Jim,.... une petite heure au grand désespoir de notre âne.

Nous allions deux fois par jour voir nos chevaux, je dis nos car en plus d'El Gato et de Léon, nous avions hérité de chevaux abandonnés par leur propriétaire et qui avaient besoin de sortir tous les jours ; il y avait Petit Prince, Florida et encore bien d'autres. Il n'y avait que le dimanche où nous venions très tôt le matin, on lâchait tout ce petit monde dans la carrière, ils étaient jusqu'à 7 ou 8 à faire les fous, en général Léon faisait le mur au bout de 5 mn, à voir sa tête, j'imaginais son monologue "ah ! cette jeunesse, que des fous, je préfère aller voir ma petite "Mémère" et pas la grande", il l'avait choisi, et ce n'était pas moi, elle avait 6 mois quand il est arrivé et maintenant elle en avait 15 et elle trottait dans les écuries sous la surveillance de son papa, elle s'appelait Amélie. Il serait passé dans un trou de souris pour lui faire plaisir, moi il me faisait tourner en bourrique, faut dire que je lui en ai fait voir pour guérir sa plaie, pour le faire beau, la brosse il ne connaissait pas, il n'était pas éduqué comme un cheval et quand il avait idée d'aller quelque part, il y allait, même si j'étais cramponnée à sa longe.

 

Nous avons appris un jour par hasard, que les habitants des deux hameaux situés en face du Fort qui abritaient les écuries, avaient pour habitude d'aller voir un malheureux petit âne, et lui apportaient mille friandises. Quand cette rumeur m'est tombée dans l'oreille, je me suis posée des questions. J'avais réussi à ce qu'un copain me prête un parc à 50 m du Fort, j'y mettais El Gato, Karina et Utila, ses deux fiancées du moment, et bien sur l'intrépide Léon. Je connaissais très bien tous les équidés du Fort à part mon Léon, je ne voyais pas d'âne brimé. Nous sommes donc allés nous aussi un dimanche après midi au Fort, mais arrivés près du parc de nos chevaux, quelle n'a pas été notre surprise de voir une bonne dizaine de voitures garées partout, plus des piétons. Mais chose encore plus bizarre, on aurait dit que tous ces promeneurs faisaient la queue devant notre pâture. De loin, je voyais El Gato et ses deux juments sur un tertre se tenant loin de cette foule agglutinée devant la porte. Le pire : j'entendais les gens dire que ce pauvre âne était battu et qu'il mourrait de faim. De faim ???? battu ?????

Je m'approche en écartant gentiment les gens et qui je vois en FLAG ??? Léon, qui faisait purement et simplement la manche.

Je l'appelle : "Léon" ; avant de lever les yeux sur moi (il était entrain de se gaver de croûtes de pain), j'ai bien senti qu'il a eu comme un hic. J'insiste "Léon" ; alors comme à son habitude quand je l'appelle, il se met à braire mais ici ce n'était pas comme tous les jours quand il me répondait "OK j'arrive", c'était comme "oui, oui, c'est moi !!!" Je me suis retournée vers tous ces braves gens au regard noir envers ma personne ; forcément , ils croyaient ce qu'ils voyaient, c'est à dire un âne avec des yeux de coker, un air débonnaire et une affreuse tumeur qui ne disparaîtra jamais même si elle n'est plus douleureuse. J'ouvre en grand la porte, je demande à Léon de venir près de moi, sans licol, sans longe, le coupable se poste entre Amélie et moi, la tête dans les bras d'Amélie et j'explique à tout le monde, ce que Léon était c'est à dire un petit âne sauvé de l'abattoir, qui avait été mordu par un autre cheval et que nous avions recueilli, soigné et surtout aimé. Les gens ont tous été d'accord pour décerner à Léon une médaille en chocolat du meilleur âne comédien ; et les promenades du dimanche, sont devenues les visites à Léon.

Léon était extrèmement intelligent, je voulais le travailler en liberté comme El Gato, le faire monter sur un tabouret (spécial chevaux) mais rien, il faisait ce qu'il voulait quand il voulait, si je voulais le rentrer le soir, il fallait que ce soit Amélie qui le tienne, je pouvais lui mettre licol et longe mais il se plantait le temps que sa préférée arrive ; c'était émouvant.

Amélie passait sous les barrières le rejoindre dans le parc, il lui courait après, mais des petites jambes de 18 mois, ça s'emmêle de temps en temps et c'est la bûche, Léon s'arrêtait net et léchait les petites larmes jusqu'à ce que le rire revienne, faut le voir pour le croire, à l'époque je n'avais pas de caméscope et c'est dommage. Par contre, quand il m'arrivait de vouloir passer entre les barrières afin d'apporter de la nourriture, je guettais qu'il n'était pas là ; mais rusé il était toujours là, prise de panique sachant ce qu'il allait m'arriver, évidemment je restais accrochée dans les fils et Monsieur me mordillait les fesses, j'avais beau promettre châtiment et pénitence, mon postérieur était certainement trop tentant pour le bandit. Et puis, il savait que je menaçais toujours mais que jamais il n'y avait de punition ; j'ai du respect pour son âge.

Une autre fois, il s'est enfui ; de sombres crétins s'étaient amusés à tirer avec une carabine à plomb sur nos chevaux, il n'y avait dans le parc qu'El Gato et Léon, les deux juments étant parties en promenade avec leur propriétaire. Léon s'est sauvé, quand on est arrivé, il n'y avait qu'El Gato en nage et des coups de fusil venant de la haie. Mon mari est parti après mais contre une voiture, il n'a rien pu faire, heureusement Gato n'était pas blessé puis on a cherché les autres, on a trouvé les juments aux écuries mais pas de Léon.
L'ANGOISSE !!! à 5 km l'autoroute, la ville et tous les malheurs pour un équidé en vadrouille sur la route... Nous avons formé avec mon papa, mon mari et Amélie deux équipes voitures, moi j'étais à cheval et deux amies à pied du samedi après-midi jusqu'au dimanche soir tard, on a tout fouillé, la gendarmerie était alertée, les pompiers aussi mais rien, pas d'accident ouf ! mais pas d'âne non plus.
Le lundi nous sommes allés au travail mais avant nous avons placardé partout un "SOS âne perdu" sur tous les endroits publics comme les écoles. Le soir, un appel d'un paysan avait trouvé un vieil âne ...malheureux (encore un coup de regard de coker) qui se goinfrait gentiment dans son champ de luzerne alors il l'a attaché à son tracteur et ramené à sa ferme pour amuser ses petits enfants. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire nous nous trouvions chez le brave homme, là du foin jusqu'au ventre notre Léon nous ignorait superbement. Cette calvacade à l'époque de la chasse aurait pû se terminer en drame. Ma maman qui a une villa et son jardin à 3 km du Fort a tenu absolument à garder Léon pour la nuit dans son jardin. Il a fallu se lever beaucoup plus tôt le lendemain, pour ramener Léon au parc avant d'aller travailler, comme Big Ben , il a brait régulièrement toutes les heures, mes parents ainsi que leurs voisins étaient bien contents de le voir partir. Une autre fois, il a entraîné dans son escapade 3 poneys shétlands dont 2 retraités comme lui. La bande a sévi dans deux villas qui avaient laissé leur portail ouvert, rosiers et autres jolies fleurs ont été dévorés, mais heureusement pour eux comme pour moi, leur bonne tête et leur réputation ont fait que personne n'a porté plainte, mais pendant qu'une équipe à cheval cherchait les fuyards au Sud, moi j'étais en voiture sur la seule route du Fort qui descendait vers ces villas, quand je les ai découverts et avec l'aide des hôtes involaires, nous avons mis le troupeau devant ma R5, et j'ai remonté toute l'équipe en zizagant derrière eux et en klaxonnant, 3 km ainsi en espérant qu'il n'y ait pas de voitures qui descendent, quelle galère !

Tout ceci c'est passé entre 1985 et 1986, il avait 25 ans, j'ai quitté le Fort en 86, et nous lui avons trouvé deux copains chevaux de 20 et 23 ans avec qui il a fait beaucoup de fantaisies. Aujourd'hui, il est dans les prairies du paradis. Il m'a appris que les ânes sont fantastiques, d'une intelligence que je dirais supérieure aux chevaux car il y a toujours de la malice, et les erreurs des hommes envers eux ne servent qu'à amplifier leur intellect ; je ne vous parle pas de ceux qui travaillent laborieusement toute leur vie pour trois grains de maïs et meurent dans la rue comme on peut le voir dans le Maghreb. Avoir un âne chez soi et l'éduquer est une expérience d'une très grande richesse et qui rendrait humble même le meilleur dresseur car il faut plus que de la finesse et de l'amour, il faut savoir jouer aussi avec leur caractère.

Après Léon, j'ai eu Ulysse un noir du Berry de mes voisins que j'ai éduqué bébé, dressé sous la selle à 4 ans et ce regard de velours m'a toujours séduit, en plus Ulysse amble et sous la selle, c'est un fauteuil.