ÉVASIONS

 



Après une longe avec la selle d'amazone, ce qui me permet de faire seule le sanglage final, petit travail en carrière. J'attends l'aide d'un copain pour me libérer Sirène et nous voilà parties.
Sortie en forêt. Temps frais, ciel changeant, belles variations de lumière, trouées dans les sous-bois, un espace tout de jaune vêtu surmonté ça et là par des sortes de chandeliers à plusieurs branches, d'un jaune plus pâle.
Sirène a recommencé à n'en faire qu'à sa tête. Elle mène sa vie, elle galope où bon lui semble.
Une allée s'y prêtant bien, je demande le galop à gauche: 150 foulées sans la moindre velléité d'arrêt! "Ouah, bravo ma chérie, quelle grande fille tu fais, merci beaucoup". Je signale que j'avais un chapeau peu fragile, ce qui m'a bien servi car j'ai quand même pris quelques branches sur la tête.
Après tous ces compliments, Filoselle se dit qu'on rentre. Déception. Je l'emmène plus loin. Petite Léonie au pas, allée des ruches au trot, Grande Serpentine. Je demande le galop à droite et, hop, 150 foulées aussi. "Bravo! Super!" Encore un progrès, d'accord, cette fois on rentre.
Donc, direction le champ magique avec son herbe rouge et bleue à gauche, entrée dans un autre layon, avec les alternances d'ombre et de lumière. Et là, dans une trouée ensoleillée, un corps roux doré, Filoselle en arrêt, frémissante. Le corps roux glisse vers la droite, surmonté d'une large ramure. Encore un cerf. Après une brève station à me regarder, il reprend sa glissade, aussitôt suivi par un deuxième cerf, aussi roux, aussi beau, aussi boisé. Nouvel instant de grâce. Je suis bénie des dieux. Merci. Les voilà qui trottent dans le sous-bois. C'est à peine si l'on peut noter la différence entre leurs apparitions et les jeux d'ombres.
Sirène qui traînait encore à l'arrière n'a rien vu. Quand nous avons croisé leur trace sur le sentier, elle s'est mise en alerte, mais j'ai fait preuve d'autorité pour la garder au pied. Voilà. C'est tout.
Merci les dieux de la forêt et les dieux des chevaux.



ROSA



Le foin exhale une douce odeur qui se mélange à l'odeur familière du fumier, qui pour moi est le parfum de l'évasion.
L'écurie se réveille lentement, Pierre est déjà passé nourrir les chevaux, il est 6 heures du matin. D'habitude, j'ai un mal fou à me sortir du lit, prendre la voiture au milieu de foldingues, pour voir des grincheux, et des "je suis meilleure que tous les autres".Aujourd'hui c'est moi qui ai devancé le réveil, c'est l'été, c'est les vacances. Juste mon chaï tea et hop je saute dans mes bottines, une pomme à la main que je croque à moitié, l'autre étant pour mon complice.
Un rayon de soleil filtre à travers la lucarne, un doux bruit de mâchoires s'appliquant à dévorer l'herbe séchée, un abreuvoir qui glougloute, un coup de sabot dans le bois du box. Le bonjour du matin, des naseaux tout doux, un souffle caressant, les vibrisses qui picotent. Délicatement mon cheval prend la pomme, le licol passé, en sortant du box il s'étire, la nuit a été paisible. Tout est douceur, calme et les bruits sont les silences de la quiétude de ce matin d'été.



Aujourd'hui, nous allons réveiller la forêt, nous enivrer des parfums du sous bois, écouter les oiseaux, peut-être rencontrer un goupil, ou un chevreuil, tout simplement au rythme des allures de mon cheval, je vais partager le bonheur d'être encore une fois centaure, avec mon meilleur ami : mon cheval.

MARIE HÉLÈNE



Pour Hémeric j'aimerais un truc sympa mais pas vantard, car par exemple pour le passage, je trouve qu'en parler est prétentieux, j'ai essayé quand il était jeune, je touchais des boutons (pas espagnol) appel de langue, un petit tapotement de cravache, et lui cherchait vraiment à comprendre, on le sent bien quand ils se creusent la tête, il ne savait que faire, il s'arrêtait, faisait un départ au galop, trottinait, balançait et en désespoir de cause il m'a fait deux foulées au galop sur trois jambes, stupéfaite, émue de ce qu'il cherchait à me donner, pas contente de moi pour ne pas être assez claire, je l'ai caressé, lui demandant en lui parlant "mets ça dans la boîte, ce sera pour plus tard". Le cheval est généreux, je pense qu'il suffit de lui laisser s'exprimer, physiquement certes mais aussi lui permettre d'être "autonome", et laisser croire aussi que tout vient de lui, recevoir et ne pas prendre même si on demande, j'ai souvent vécu des choses qui me surprennent encore, comme en promenade où il y avait le seul chemin assez confortable pour galoper, départ au galop académique puis je me mettais en avant, laissant filer les rênes, il galopait tête basse, la secouant pour exprimer sa joie, et oui Hémeric est très respectueux monté, arrivés en fin de chemin, se redresser suffit pour qu'il s'arrête, il a droit à un sucre dans ces cas-là, il s'immobilise, tourne franchement la tête et je ne comprends pas, je lui dis juste "allez" il fait demi tour avec un pas un peu précipité, je reprends un peu les rênes, un peu en avant et il repart au galop, libre si l'on peut dire, pendant la galopade, je me demande si je suis embarquée, si j'ai raison de le laisser faire.. au bout du chemin de je me redresse, il s'arrête, prend le sucre et fait demi-tour, c'est reparti, il donne des coups d'encolure et attaque du garrot ! à l'écoute mais joueuse nous sommes repartis... même scénario, demi-tour, et cette fois il fait demi-tour pour prendre son bon pas de balade, il avait eu sa dose, nous sommes rentrés...

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ISABELLE




Les marches de l'escalier en bois grinçaient, ça sentait la poussière et le renfermé, le grenier était haut, les vieilles bâtisses dauphinoises ont un toit très en pente et très haut à cause de la neige, on arrive enfin dans le grenier, immense, un gros oiseau s'envole, la lucarne n'a plus de fenêtre, le monsieur cherche dans un tas d'objet hétéroclite, comme dans les films, il y a une vieille cage à oiseaux, des paniers de toutes les formes, des cageots remplis de vaisselle dépareillée, et là sous un vieux drap vite enlevé, elle est là, toute petite, rien à voir avec les photos découpées dans les magazines, j'ai des frissons, être en face d'un rêve, pouvoir enfin le toucher, c'est un moment privilégié, les deux hommes me regardent, personne ne dit rien, place à l'émotion, je m'approche, elle est rousse comme Frac, le siège est impeccable, les quartiers sont secs mais pas de trous ou d'éraflures, les cornes, la fixe tiens bien, la mobile bouge un peu, elle sent bon, elle sent le cuir, pas de sangle, pas d'étrivière, pas d'étrier mais c'est facile d'en trouver. "Je vous la prête pour l'essayer, c'est une selle d'amazone pour jeune fille, mais vous êtes toute menue, ça vous ira bien". Il fait nuit impossible d'aller chercher Frac au pré pour l'essaie, va falloir attendre demain.
Demain c'est si loin. J'ouvre le livre de Jehanne Cabot, seul littérature en 1985 sur l'amazone, et je compare, je lis, je relis. Demain....
Le lendemain pas besoin de réveil, intenable, une tasse de thé et nous voilà partis. A l'écurie, je laisse Frac finir sa ration, pendant ce temps, je mets mon étrivière et l'étrier de ma selle Kieffer, ma sangle en cuir multitaille va très bien. Je sors Frac du box, oh horreur, mon époux tire, pousse, teste la selle dans tous les sens, "si elle doit casser autant que ce ne soit pas avec toi sur le cheval"... oh mon coeur s'arrête, je sais qu'il a raison, mais mon rêve, il le malmène," ma précieuse", ouf elle passe l'examen avec succès, on selle, on tourne et retourne, il y a un bout de cuir qui pendouille ??? le livre, on rerelit, ... ? c'est la balancine, on la fixe, le cuir est très léger, mais on ne voit pas tout de suite l'utilité de cette sangle comme la sursangle...



Frac est prêt et moi encore plus, mon mari me met à cheval, à califourchon moins de 5 secondes, je ne tiens plus, allez hop la jambe droite dans la fourche et en avant marche et droit, je flotte, j'en ferme les yeux, enfin me voilà AMAZONE comme dans mes rêves, 24 ans et amazone, je vois Angélique, et tous les films avec des amazones.... "alors ça donne quoi ???" Gabriel me ramène à la réalité... hop au trot, pas de soucis, j'ai fait ça toute ma vie, et je me lance dans un champ plat, galop... aucun problème, ça me parait si facile, bonne position, bien droite, la selle me va comme un gant, Frac est super gentil, lui le champion de la ruade. Je m'arrête près de mon mari, avec un sourire indéfinissable, Frac en a marre, il pousse un soupir dont il a le secret et "Pan" un bruit sec, Frac selle français, cheval d'attelage à l'origine et un ventre de poulinière, vient d'exploser la balancine...
Mais la selle tient très bien et pour cause, elle est trop petite pour Frac, elle est comme une pince sur son garrot... mais comme c'était la première fois, et juste un livre pour conseiller, j'ai continué, un autre galop sans soucis, on a remplacé par une étrivière la sangle cassée...un moment magique comme on en vit peu dans la vie.


Deux jours plus tard, le propriétaire de la selle, nous informe du prix qu'il en veut, .... la guillotine aurait été plus douce, trop trop chère, nous sommes jeunes, n'avons rien à nous sauf la voiture, impossible d'avoir l'argent, je laisse partir ma "précieuse" avec un coeur lourd comme un chaudron.... deux ou trois mois plus tard, je rencontre une dame qui "aurait" fait de l'amazone dans le temps, elle m'invite chez elle. Dans son salon, il y avait plusieurs selles à fourches en exposition, des grosses, des lourdes, des ouvragés, et dans un coin, une lampe très spéciale.... mon coeur s'arrête, planté en plein coeur d'une merveilleuse petite selle d'amazone un pieu en sort et un affreux abat-jour le couronne, ma selle, ma chère petite selle était devenue une lampe ... la "grosse" ex amazone avait crucifié ma selle car elle ne pouvait pas rentrer dedans... j'ai fui, la nausée, être riche et être si bête c'est pas possible... je rentre et raconte ma découverte à Gabriel qui me dit : "je te jure que tu auras ta selle à toi comme un jour tu auras ton cheval... je te le jure" 7 mois plus tard j'ai eu El Gato : mieux qu'un diamant, et 2 ans après ma selle à moi, à mes mesures et à celles d'El Gato, amazone j'étais, amazone je suis et amazone je resterai.



MARIE HÉLÈNE

 

 

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