SENSATIONS ET SENTIMENTS

L’HOMME, LE CHEVAL : QUAND L’UN EST L’AUTRE

Aton : étalon frison de trois ans en liberté

Je suis beau, ô mortel, comme un rêve de pierre. Ma robe noire capture les inflexions de la lumière et te laisse dans l’ombre. Je suis nu, sans artifice, pur symbole d’une perfection naturelle que tu as salie et perdue à jamais. Je suis seul mais sans crainte car courent à mes côtés des hordes ancestrales. Tu t’avances vers moi plein de morgue, frêle créature. Qui es tu, comment oses-tu poser ta main sur moi, moi qui me nourris de liberté. Tu m’intrigues, je veux savoir quels sont tes desseins. Tu me tentes, tu me corromps par ce fruit. Si je le croque, que va-t-il m’arriver ?

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Remboot : étalon frison de 9 ans en main

Le cheval est la projection des rêves que l’homme se fait de lui-même : fort, puissant, beau, magnifique. Il nous offre la possibilité d’échapper à la monotonie de notre condition, de masquer notre fragilité et le caractère dérisoire de notre existence. Il est pour l’homme un miroir qui le magnifie et le transporte aux cimes d’une gloire qu’il ne saurait atteindre seul. Il accepte, pantin sublime, de se plier aux ordres et irradie de beauté tout qui l’approche. Mais soyez attentif : qui est vraiment le marionnettiste ?

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Edouart : hongre demi-sang polonais de 10 ans présenté en amazone

C’est une histoire fragile, qu’un rien peut rompre : une jeune écuyère qui ne savait rien et rêvait de tout et ce cheval blanc, un peu trop mince, que l’Homme a souvent déçu. Ils se rencontrèrent un matin de printemps, se jaugèrent longuement, méfiants de l’autre mais surtout d’eux-mêmes. M’aimera-t-il, restera-t-elle près de moi ? Nul, sauf l’éternité ne pouvait répondre à leurs questions. Et puis le lien se tissa, fil après fil, avec le temps et leur patience mutuelle, lui tolérant ses maladresses, elle ses contradictions.

Si on se cache dans les écuries, on peut l’entendre lui parler, on peut le voir poser son nez sur son épaule, unissant leur fragilité, leurs faiblesses, partageant peines et colères. On peut la surprendre appuyée à son encolure, savourant sa chaleur, sa douceur, émue jusqu’aux larmes de le sentir vibrer sous ses doigts. On constate avec surprise qu’ils se jalousent follement, elle supportant mal qu’un autre s’en approche, lui ne comprenant pas que cette voix douce puisse s’adresser à un autre que lui. Ils se haïssent parfois de s’être imaginé un instant trahi et puis se calment, se parlent et comme tous les couples, se réconcilient. Elle le contemple, jour après jour surprise de sa beauté, de sa grâce et s’en émerveillant toujours plus, lui, hume avec délectation son parfum, se disant qu’il est aussi doux qu’une fleur de printemps ou que l’herbe naissante. Il lui prend parfois l’envie de la croquer…

Dans leur travail, le spectateur est souvent étonné de la rigueur, de la concentration, allant parfois jusqu’à un air de souffrance incompréhensible. C’est une harmonie fragile, un équilibre instable qu’un souffle peut briser et qu’il convient de ménager. Aux instants de lutte, succèdent des moments de flottements subtils où tout semble aller de soi. A l’effort qu’il fournit dans ce mouvement si difficile, elle répondra par une exclamation de joie incontrôlée, une caresse sans retenue, une expression de joie immense.

Puis se souvenant que vous êtes là, reprendra ses rênes et son air digne comme si votre étonnement était une injure à leur talent. Si vous tendez l’oreille, vous l’entendrez même lui murmurer que, vraiment, c’était trop facile pour des artistes de leur trempe. Lorsque l’un et l’autre auront vaincu leurs tensions, leur peur de mal faire, que nul forfanterie ne sous-tendra leurs mouvements, qu’ils accepteront de se fondre l’un dans l’autre, alors vous aurez une vision éphémère et brillante de ce que ce couple encore aux affres de la passion pourra exprimer comme grâce et harmonie. Si cet instant de tension dramatique, cet acte de tragédie vous émeut, peut-être êtes-vous ce spectateur idéal qu’ils attendent…

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Garry : Trait ardennais de 8 ans présenté aux longues rênes

Tant de fois nous avons peiné sur ce carré de terre en une ronde interminable sous un soleil de plomb, la nuque basse, l’œil vide, le muscle gonflé.

Ensemble, dans le même souffle haletant, cette même sueur coulant le long des flancs, tous deux d’un même pas ouvrant cette terre, fécondant ce ventre ingrat, trop souvent stérile.

Ensemble, animaux fumants, même vie rythmée par le soleil, même mort quand la terre décide par caprice d’assassiner ses fils.

Ensemble, qui mène l’un, qui sauve l’autre. Tu sembles si bien te satisfaire de ta condition !

Dis-moi ne t’arrive-t-il jamais de rêver que tu deviens si léger que tes pieds ne touchent plus terre, de pouvoir revivre ton enfance, avant le joug, avant la peine et la fatigue, cette époque où toutes les fantaisies étaient permises, où jeune étalon tu narguais les anciens, où la main de l’homme ne t’avait pas encore touché. Rêve avec moi, je t’en sais capable, ton sommeil m’a révélé les profondeurs de ton âme. Imagine un instant que tu deviens cheval de roi.

Ce n’était qu’un rêve, nul témoin, rien ne voit, rien ne pense, il n’y a que le noir, le temps et le silence. Tu n’es pas cheval de roi, tu n’es que cheval de MOI.

Pas à pas, dans un rythme lent, écartelons ces entrailles fumantes pour y semer la vie, pour semer notre vie. Peinons mon frère, luttons côte à côte pour glaner ce grain qui est notre seule pitance. Nulle lueur, nulle musique, nul ornement, nulle gloire. Notre vie seulement…

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Darwin : demi-sang de 14 ans

Tu m’obéis, tu te soumets, au point que tu attends l’ordre pour exécuter chaque mouvement. Que te manque-t-il, cheval, pour être l’égal de l’autre.

La conscience de soi, l’âme et le cœur, credo de l’humanité. Sais-tu l’art, cheval, les rythmes et les silences de la musique, les courbes d’une image.

Sens-tu le vibrato de la corde sous l’archet, tes foulées marquent-elles la mesure, tes muscles se tendent-ils dans la pureté d’un son.

Es-tu artiste, capable d’imprimer dans ton corps assez d’expressivité pour faire vibrer ceux qui te regardent. Si tu le peux vraiment, prouve-le moi et je m’inclinerai…

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Garry sous la selle

Considérons un instant notre lutte pour la liberté, recherchons l’origine de notre force d’aujourd’hui et nous trouverons que ce chemin de l’homme vers la gloire est balisé par des ossements de chevaux, héros anonymes et jamais décorés. Ce qui est aujourd’hui un loisir ou un luxe, fut, pendant des siècles, une arme indispensable à nos envies de conquêtes, un outil rien de plus, rien de moins. Le cheval a payé cher son tribut à la grandeur de l’homme. Ne l’oubliez pas.

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Remboot et Edouart en pas de deux

Noir, ténèbres, symbole de la puissance destructrice, symbole du mal, parfum de mort mais sans noir nul repos, nulle gestation, nulle vie. Blanc, lumière, symbole de la fragilité, de la pureté, de l’innocence, symbole de la paix, soleil nécessaire à l’éclosion de toute chose, mais aussi aveuglement, veille constante. Noir et blanc, alliance indispensable à la vie même, limites du monde.

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Darwin en liberté

Libre comme l’air, rien ne me retient, rien d’autre que le regard de cet homme, regard plein d’amour, d’admiration, de respect. Libre, si ce n’est cette entrave que j’ai moi-même liée, qui m’entoure le cœur, mais le laisse se dilater d’amour, d’admiration, de respect. Le son de sa voix rythme mes pas, j’adapte ma foulée à cette douce musique.

Nous sommes deux, seuls, uniques, unis par quoi ?

Je l’ignore. J’ignore tout de cette force qui m’attire irrésistiblement vers cet être étrange si différent de moi. Son odeur est celle d’un prédateur mais ne m’effraie plus car il y a trop longtemps que je suis pris dans ses raits. Pourquoi ai-je accepté la loi de ce frêle révolté qui a violé sans vergogne ma mère, la nature. J’ai tenté de résister mais en vain.

Il m’a donné le goût d’une nouvelle nourriture sans substance, immatérielle mais qui pourtant semble tangible tant elle imprègne l’air que je respire. Je pourrais m’enfuir, c’est vrai. Mais ô combien grande serait ma souffrance d’être privé de celui qui me distille cette drogue si douce qu’est l’amour. Et lui que deviendrait-il sans moi, lui qui me doit tout.

Quand il me rendra aux entrailles de la terre, je sais qu’il se couchera à mes côtés, pour sentir une dernière fois un peu de ma chaleur, un peu de mon souffle. A ce moment, je serai son égal, gisant magnifique et les larmes que je ne peux pleurer, il les versera pour moi.

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Adieu mon frère, je t’ai volé à la vie, je te rends à la mort.

Va-t’en rejoindre tes semblables, ceux qui comme toi ont subi le joug de l’humanité et ont sacrifié leur destin à la gloire de l’homme.

Vous qui là haut galopés dans les nuées, souvenez-vous un instant du drame vécu.

Les premiers âges où l’homme vous tua sans merci pour perpétuer sa race et puis usa de votre force pour des travaux trop durs.

Souvenez-vous les famines et les guerres où la peste et la poudre vous décimèrent par milliers, où le guerrier absurde et dérisoire embrochait vos flancs au fil de son épée.

Tout ce qu’a la fureur de l’homme enfanté, tout ce qui fit sa gloire et sa splendeur si brèves, toute la grandeur d’une humanité décadente s’inscrit à l’encre de ton sang dans les livres d’histoire.

Mais jamais ton nom ne sera cité, ni au rang des héros, ni à celui des victimes.

Puis vint l’âge d’or, des arts et de la culture : tes flancs vibrèrent à la pointe de l’éperon puis satisfaire la morgue sans limite de ce fier écuyer.

Quelle ironie ! le dressage, la haute école n’avait d’autre but que de te rendre la noblesse que tu avais avant que l’homme ne te brise.

Ta beauté devait magnifier la misérable créature que tu portais sur le dos : et dire que tu parvenais à sublimer tant de laideur !

Pourtant on te disait animal, vil et sans âme, on te qualifiait de bête…

Ton acceptation sera toujours pour moi un mystère et me fait penser que cette humilité est un signe de grandeur.

Pourras-tu jamais pardonner tant de bêtise, tant de cruauté, me pardonneras-tu, moi, d’être de la race de tes bourreaux.

Si l’homme était réellement supérieur aux autres êtres vivants, ne pourrait-il s’imposer sans arme, sans violence.

Oh Ténèbres, immensités aveugles, n’avez-vous donc pas entendu les cris de ces victimes, leurs hennissements de terreur, de douleur.

Ne pouvez-vous condamner les siècles de violence que l’homme a inscrits dans la mémoire de la terre. C’était un rêve, tu n’as jamais été, nul témoin, rien ne voit, rien ne pense, il n’y a que le noir le temps et le silence.

C’est le mythe que l’humanité inventera pour ne pas avoir à demander le pardon à ceux qu’elle a sacrifiés à sa gloire.

Un cri faible s’élèvera dans la nuit : celui d’un homme qui au nom de ses frères se déclare coupable pour l’absurdité des siècles.

Ce cadeau vous est offert par notre amie Sylvianne, amazone indépendante de Belgique.

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