LA PREMIÈRE FOIS
La première fois qu'on se retrouve sur le dos de notre rêve
Alizée
Je ne me souviens plus quand cela a commencé. D'après mes parents dès que j'ai su parler, j'étais toute émotionnée à la vue d'un équidé. Quand j'ai su tenir un crayon, mes cahiers se sont couverts de petits dessins de chevaux. Frappée dès ma naissance par la maladie de la Passion des Chevaux, incompréhensible dans une famille très modeste où personne ne montait à cheval, ni ne s'occupait d'eux.
Je travaillais bien à l'école dans l'espoir qu'un jour mes parents m'offriraient en récompense non pas un cheval, c'était trop cher, mais des cours.
Un jour du mois de juillet 1970, mes parents prennent la décision capitale de m'inscrire dans un club hippique. Ce jour sera gravé dans ma mémoire.
La nuit précédente, impossible de trouver le sommeil, j'avais lu et relu "Martine monte à cheval" à 1 heure du matin, je ne dormais toujours pas, saisie d'une fièvre qui m'était encore inconnue à l'époque. Je me répétais sans cesse : "demain, je monte à cheval, un vrai, un grand, il sera à moi pendant une heure", je regardais les photos de Martine sur Pâquerette et je m'imaginais moi aussi sur une belle et grande jument aux yeux de velours.
Le lendemain, il a été inutile que papa me réveille, aux aurores, j'étais debout, lavée, habillée avec mes bottes en caoutchouc aux pieds, manger ? impossible ! mes intestins commençaient à réagir à une autre sensation : la peur. Et oui, tout cela m'était totalement inconnu, les chevaux ? d'accord ! mais toutes les personnes qui vivaient autour, qui étaient-ils ? le moniteur, comment était-il ? pour une petite fille de 10 ans, fille unique de surcroît, isolée dans sa campagne, se retrouver toute seule dans un milieu inconnu avec ses mystères ; j'étais très timide et un peu sauvageonne, il fallait absolument que je fasse preuve de courage, que je taise mes douleurs car maman, dévorée par l'angoisse d'un accident, (les chevaux sont si grands pour sa petite fille) aurait vite fait de tout annuler. Papa me déposa chez ma tante Irène et maman resta à la maison. C'est grâce à ma tante que j'ai pu faire mes débuts à cheval, c'était très cher et elle m'a inscrite à la Maison des Jeunes de son village où était implanté le Club Hippique du Manoir, ainsi j'ai bénéficié des réductions accordées aux enfants de Haute Jarrie. Quelques minutes avant 11 H, heure où le cours débutait, mon cours !!! nous nous sommes rendues à pied au Club.
C'était un château avec un parc immense, la première chose qui m'a accueilli, ce sont les odeurs, ces odeurs qui sont un parfum pour les passionnés : la paille, le foin et le crottin mélangés à l'odeur de la rosée, des sapins et de la sueur des chevaux. C'était divin, enivrant.
Sur mon petit nuage, on s'approche des écuries, des têtes sortent, une caresse par ici, un bisou par là, à cette période jamais je n'aurai pu imaginer qu'un cheval aurait pu me mordre, c'étaient des Dieux gentils et doux.
Une leçon se déroulait dans un grand enclos de sable bordé de barrières en bois, on appelle ça une carrière, je le noterais dans mon journal intime dès mon retour. Il y avait déjà des jeunes qui attendaient. Avec Irène, on a regardé la fin de la leçon, les cavaliers qui sont tous des adultes, avaient 10 h de cours déjà, ils se préparaient à galoper et voilà en ligne, tous sont au galop mais le dernier cheval part en ruades et pan ! la cavalière est par terre, elle n'a pas mal mais elle insulte le cheval. Le moniteur l'aide à remonter, tous repartent au galop et de nouveau le cheval fait des ruades spectaculaires, mon coeur se serra, un cheval fou, et pan ! la cavalière par terre, le moniteur rattrape la jument et la corrige avec sa cravache, la cavalière ne veut pas remonter mais le moniteur l'oblige, bien entendu la jument est encore plus folle qu'au début et moins d'une minute plus tard, la grosse dame est encore par terre, elle jette sa cravache au sol et quitte la carrière. J'en étais stupéfaite, je n'avais jamais vu un cheval comme ça, mes gargouillis intestinaux étaient de plus en plus intenses mais au fond de moi, une excitation croissante était en train de tout bouleversait.
Dès que le moniteur ouvre la porte, les futurs élèves courent vers les chevaux et chacun choisit sa monture. Je restais à côté de ma tante attendant que l'on me dise ce que je devais faire. Le moniteur annonce, "plus de chevaux ?" du rouge je passe au blanc livide. "Si, il y a Alizée". "Passez la à la petite", et je vois que l'on me tend les rênes de la "furie" de la précédente leçon, moi qui avais jeté mon dévolu sur une magnifique petite jument grise qui s'appelait Gitane et me voilà face à une grande jument baie dont la réputation était de mettre par terre tous ces cavaliers. Ma tante me dit "courage, si tu as peur, on peut tout arrêter" "Non, ça va très bien" mon premier gros mensonge, j'avais mes jambes qui tremblaient tellement que je doutais de pouvoir marcher normalement, et j'avais la bouche sèche, c'était terrible, mais tout va bien", elle est donc repartie.
On nous dit d'amener les chevaux au manège, là une dame me montre comment on règle les étriers et comment on doit se mettre à cheval. J'ai les jambes si molles que j'ai de mal à viser l'étrier, et le cheval est immense, la dame qui s'appelait Arlette me dit :" Ça va aller ! ne lui montre pas que tu as peur sinon...." C'est plus de la peur, c'est la débâcle, on me tire, on me pousse et je me retrouve loin du sol sur la jument ; mais rien ne ressemble aux images que j'avais rêvé pendant la nuit. "Tant pis, je suis née pour monter à cheval et maintenant que je suis dessus, j'y resterais" Cinq minutes où l'on m'oublie un peu, je caresse la jument et je lui parle, je lui dis que j'ai un sac rempli de croûtes de pain et de sucre, tout est pour elle, je lui dis aussi que j'ai peur d'elle, mais que je l'aime. A 10 ans sur un cheval d'un mètre 67 au garrot, les jambes dépassant légèrement de la selle, je savais très bien qu'il me fallait gagner sa confiance et qu'il comprenne que je ne voulais pas lui faire de mal, je n 'avais ni cravache ni éperons, seulement mon très grand amour pour lui. Les autres élèves avaient déjà 3 H. Le moniteur me place en queue de reprise, car l'ensemble s'appelle une reprise encore un mot pour mon journal. Nous faisons plusieurs tours au pas, c'est merveilleux tout est facile, maintenant on doit faire du trot, malheur, ça saute, je rebondis, je me fais gronder mes rênes sont trop longues mais pas question de les raccourcir je risquerais de faire mal à Alizée, pour l'instant,elle est sage, je joue le rôle d'une balle de ping-pong, je me contracte, je me tiens au pommeau, les étriers étant partis depuis longtemps, je n'ai rien compris au trot enlevé, j'apprends le "tape cul" mot que je ne mettrais pas tout de suite dans mon journal, maman ne serait pas contente. La pédagogie des moniteurs de l'époque était une pédagogie militaire (ce qu'il faut savoir c'est que ce mot n'existait pas dans l'armée). Vu que je suis restée dessus, le moniteur décide de nous faire faire du galop, nous étions 8 et moi toujours en queue. Le galop ! comme à la télé dans les westerns ! les grands galops du début jusqu'à la fin, avec des YA ! YA ! Là silence, on ne doit pas parler, cela fait peur aux chevaux ; moi qui lui raconte ma vie depuis le début, Alizée est beaucoup plus calme qu'à la reprise précédente. Je lui demande d'aller doucement, la reprise part au galop, on me dit de suivre comme si j'étais capable de partir ailleurs, Alizée suit au galop, un bateau ; ça ne ressemble pas du tout au trot, c'est large, confortable, je me penche bien en arrière, les rênes flottent mais je sais maintenant qu'elle restera à sa place et qu'elle ne me fera pas de misères.
La reprise est terminée et je ne suis pas tombée comme je suis la plus petite et la plus jeune du groupe, certains me regardent de travers, moi je m'en fous. Une fois descendue, je ne sais plus marcher, j'ai mal partout, le fessier, les jambes, les bras, un train me serait passer dessus que cela ne serait pas pire, comment n'ai je rien senti lorsque j'étais sur le dos d'Alizée ? Je l'apprendrais plus tard, lorsque je suis à cheval, j'oublie tout et je deviens centaure, mon corps d'humain tait ses états d'âme. On vient de me dire de rentrer Alizée dans son box et de la desseller, quelqu'un viendra m'aider. Je ne connais pas les lieux mais je demande à Alizée où se trouve sa maison, en bon cheval de club qui ne languit que ça , elle m'entraîne vers sa stalle. Premier problème enlever les cuirs de sa tête et mettre le truc rouge qui va la tenir attaché au mur. Heureusement, Arlette la dame du début est revenue et m'explique, licol, sangle, remonter ses étriers, ranger la selle et le filet et après je peux partir "mais et mes câlins ?". Dès que ces tâches sont accomplies, ma tante n'étant toujours pas là, je fonce voir Alizée et je récupère mon sachet caché dans des bottes de paille. Je donne à Alizée mes friandises, ce qui déclenche chez les autres chevaux des petits murmures d'envie, ils sont oubliés par leur cavalier. Je coupe mon pain en petits morceaux car j'en avais peu et je le distribue à toute l'écurie. Un grand cheval noir baisse ses oreilles et menace avec ses postérieurs, je commence à comprendre que ces chevaux ont sûrement leur raison d'être hargneux et je lui lance son pain, j'en ai peur mais ce n'est pas une raison pour le priver.
Quand ma tante arrive, elle me trouve dans la stalle d'Alizée en train de "la bisouiller", après tout elle aussi a des yeux de biche et un nez en velours qu'on ne se lasse pas toucher tout doucement. Irène me fait signe de venir et dès que j'approche, elle recule, paraît que je sens très mauvais, je sens le cheval... Elle m'apprend qu'elle m'a réinscrit pour la reprise de jeudi prochain. Quel bonheur, il va falloir que je cache mon tee shirt pendant une semaine, afin de pouvoir humer ce parfum de sueur du cheval et de cuir. Je dois aussi écrire mon journal avec le nouveau vocabulaire, le déroulement de ma première reprise et les noms des chevaux. Aurevoir Alizée, aurevoir les chevaux à Jeudi, c'est quand même loin jeudi, 7 jours, 7 nuits, mais je serais prête.
Chose étrange, mes parents n'ont pu venir me voir monter que 4 mois plus tard et ce jour là, je montais Alizée pour la 2ème fois et cela s'est aussi bien passé que la 1ère.
Beaucoup
trop de cavalier(e)s oublient leur début et sont très désagréable
face aux débutants, ils ont tous oublié, qu'ils n'étaient
guère plus brillants. Aujourd'hui les débutants ont un enseignement
civil et pédagogique, où les heures de tape cul sans étriers
n'existent plus, ou la sélection par l'usure et l'enseignement de la fatigue
et de la peur n'a plus court. Il fallait être mordu et même fêlé
pour subir les heures et les heures de reprises où l'on rentrait avec des
rustines aux fesses, où la chambrière punissait chevaux et cavaliers.
De nos jours, on apprend à comprendre le cheval, à le respecter
et à être en harmonie avec lui, si ce n'est pas le cas de votre club,
changez en vite, chevaux et cavaliers ne sont pas des machines à sous.
JE VOUDRAIS REMERCIER MES PARENTS DU FOND DU COEUR, MA MAMAN ÉTANT AU PARADIS, JE SAIS AUJOURD'HUI, MOI QUI SUIS MAMAN ET CAVALIÈRE, TOUTE L'ANGOISSE QU'ELLE A DU VIVRE DURANT LES HEURES OU J'ETAIS PERCHÉE SUR CES SI GRANDS ANIMAUX.
ET VOUS, RACONTEZ MOI VOTRE PREMIÈRE FOIS
Mon premier cheval s'appelle Bijou,
La première fois que je suis montée sur un cheval, j'avais 7 ans. Mon oncle avait une ferme et c'est sur un gros cheval de trait blanc qu'il m'a hissé. Il s'appelait Bijou. Mon oncle me donnait la corde qui tenait au licol et lui a pied, moi à cheval on emmenait les vaches au pré. Là on lâchait Bijou qui allait immédiatement se rouler dans la terre. Le soir, lorsqu'il fallait rentrer les vaches, Tonton sifflait et Bijou comme un gros chien nous ramenait toutes ces dames. A nouveau je grippais sur son dos et retour à la ferme. Vers 15 ans, il a acheté un jeune cheval croisé entre un espagnol et autre chose, et j'ai appris toute seule dans les champs à monter, Bijou était souvent de la promenade en liberté, cela calmait bien mon fougueux Tempête. Bijou est à la retraite et avec Tempête je fais régulièrement des stages pour me perfectionner.
Anne Marie (63)
FIONA
Je n'étais pas particulièrement attiré par les chevaux, j'adorais tous les animaux. Mes parents étant cavaliers tous les deux, m'ont acheté un poney sans papier pie noir, Fiona, et c'est mon papa qui m'a fait ma première leçon.
Fiona avait déjà
10 ans, elle connaissait bien son rôle et n'était pas vicieuse par
contre il faut avouer que je n'étais très téméraire
et que j'avais vraiment du mal à garder mon équilibre.
J'ai
dû tombé une bonne vingtaine de fois, en douceur mais c'était
pénible et peu encourageant.
Mes parents m'ont inscrite dans un club et avec le moniteur ça allait beaucoup mieux pour moi mais Fiona avait très peur de lui. Il a fallu que je monte d'autres poneys et je laissais Fiona à la maison par contre le week end c'est avec elle que je me promenais ou je m'entraînais et c'est avec elle que j'ai fait mon premier concours où nous nous sommes classés 2ème.
Je n'oublierai jamais ma première fois, c'est un moment privilégié où on est envahi par un tas de sensations, peur, excitation, doute, rêve...
Aujourd'hui, lorsque je franchis un obstacle à 1 m 60, je pense aux débutants, moi qui ai pris tant de "gamelles" je regarde toujours les nouveaux avec indulgence, nous avons tous débuté et pas toujours de façon très glorieuse, ne jamais l'oublier.
Géraldine (74)
Surprise
La première fois que je suis montée sur un cheval, j'avais 48 ans. Depuis toujours j'avais eu envie de monter mais mes parents préféraient me voir faire de la danse.
Quand
je me suis mariée, j'ai eu chiens et chats mais les chevaux, ni mon mari,
ni mes enfants n'étaient attirés. J'ai donc attendu, entre le travail,
s'occuper de trois enfants et tout ce qu'une femme doit faire dans une maison,
l'idée était rangée dans mes rêves.
Un jour, nous
sommes allés en Camargue, mon époux ne m'avait rien dit, il m'a
emmené dans un superbe Motel qui avait un promenade. Et le lendemain, il
m'avait inscrite pour une ballade de deux heures. J'ai été en premier
surprise, puis j'ai pensé que j'ai avoir l'air d'une idiote, et enfin au
"diable" les complexes, j'allais enfin réaliser mon rêve.
Le manadier était très gentil, il m'a bien expliqué comment
me tenir, tenir les rênes et me voilà sur un superbe petit camargue
blanc répondant au nom de Manouche. Les premières minutes étaient
impressionnantes, ça bouge de partout, heureusement que les selles camargues
sont de vraies fauteuils. Je n'ai pas vu passer les deux heures dans les étangs,
avec flamands roses et taureaux, une véritable carte postale, nous avons
même galopé sans trop de problème. A mon retour, mon mari
m'a demandé si j'étais heureuse. Moi, j'étais sur mon petit
nuage au nom de Manouche et j'étais bien décidée de ne pas
en descendre. J'avais les larmes aux yeux de devoir le quitter, c'est que mes
enfants et Eric m'ont annoncé que si Manouche me plaisait que si l'équitation
me plaisait et bien il m'en faisait cadeau. Manouche était à vendre
et ils avaient trouvé près de chez nous une ferme équestre
où j'allais pouvoir me perfectionner en monte camargue avec mon cheval
à moi. Ma première fois est peut-être tardive mais quel bonheur......
Geneviève (34)
Ma première rencontre avec le cheval m’a laissé des souvenirs inoubliables, j’avais six ou sept ans et mon père m’avait emmené dans un centre équestre dont il connaissait le propriétaire. Je croyais avoir découvert un petit paradis en voyant les chevaux qui broutaient tranquillement dans un petit enclos à côté de l’écurie. Je suis partie pour les caresser et eux, curieux de voir une petite fille qui les admirait les yeux grands ouverts, venaient vers moi. Quelle joie de toucher leur peau douce autour de la bouche, de regarder leur crinière et de voir comme ils dressaient les oreilles d’un air attentif quand je leur parlais. Comme s’ils comprenaient mes mots.... C’était l’heure du repas et le propriétaire de l’écurie, qui m’avait observé avec un sourire me proposa de l’aider à distribuer les grains. Nous sommes alors entré dans l’écurie et les chevaux hennissaient. ‘Regarde, Papa, ils nous disent même bonjour!’ Je me rappellerai toute ma vie leur nervosité en attendant leur ration et surtout le silence qui suivait une fois les grains étaient distribués. ‘Je peux revenir vous aider le week-end?’ demandais-je à l’écuyer qui me dit que oui, je me croyais alors la fille la plus heureuse au monde. J’allais les revoir bientôt! A partir de ce jour là, je passais régulièrement. J’appris à leur mettre le licol, les emmener au pré, donner les friandises sur la main plate, enrouler les bandes de repos...pendant mes vacances je me levais souvent tôt le matin pour aider à sortir le fumier en espérant que l’on me confierait l’un ou l’autre pour l’emmener au pré. Finalement je participais aux stages d’équitation pendant les vacances et dès les premiers moments à cheval - j’étais dans le ciel! Un jour un poney arriva dans l’écurie où je me sentais déjà presque chez moi. Quand ils l’ont sorti du van, je fus toute de suite frappé par sa beauté, il était gris, presque blanc avec de crins longs et de grands yeux noirs qui allaient m’accompagner encore longtemps dans mes rêves de jeune fille. Il n’était pas très bien soigné et je demandais pourquoi on n’avait pas donné assez de soins à un si bel être vivant. ‘Il est malade’, me répondit-on et pour moi c’était encore pire de le voir avec ses noeuds dans la crinière et son apparence un peu trop maigre. ‘Je peux m’occuper de lui?’ demandais-je, sans attendre la réponse je courus vers l’écurie pour me munir de brosses. ‘Il s’appelle comment?’ ‘Tu choisiras un nom pour lui’, me dit l’écuyer. Je commençais à lui démêler les crins, en faisant bien attention, comme on me l’avait montré pour ne pas lui arracher ses beaux crins argentés. Je lui promis de venir m’occuper de lui tous les jours: ‘Et je vais t’appeler Mister King’. Je venais le soigner tous les jours, je lui ai confié tous mes rêves, mes peurs et mes bonheurs, je l’ai promené dehors car ses jambes malades ne permettaient plus qu’il soit monté, mais moi, je l’aimais d’autant plus. On m’expliquait ses problèmes et on me disait aussi qu’il n’allait peut-être pas rester pour toujours, car il ne pouvait pas travailler. Je demandais à mon père de l’acheter, mais bien sûr, c’était impossible. ‘Et en plus il est malade!’ disait mon père quand j’insistais. ‘Puis tu peux t’en occuper sans qu’il soit à toi.’ On partait en vacances pendant quinze jours et le jour avant le départ je passais l’après-midi avec lui, à le panser, le promener dans la cour, le faire brouter l’herbe fraîche. Le propriétaire, en nous observant, remarquait qu’il ne boitait plus et m’autorisa à le monter. Il me disait de rester au pas et de descendre si jamais il se mettait à nouveau à boiter. J’étais aux anges et je disais à mon Mister King: ‘Tu vois, finalement avec mes bons soins on combattra ta maladie, puis après mes parents n’auront plus d’excuse et ils finiront par t’acheter...’ Je ne voulais pas partir sans qu’on me promette de bien prendre soin de Mister King et je confiais au propriétaire mon espoir de l’acheter un jour, quand il serait remis de sa maladie. Il m’expliqua que sa maladie avait atteint un stade où on pouvait le soulager, mais le guérir…impossible. Il avait l’ostéite du pied et il n’avait pas été soigné pendant trop longtemps par ses anciens propriétaires. ‘Mais ce sont des monstres, ces gens là, de laisser un si beau poney sans soins!’ Alors je lui ai dit au revoir et lui ai promis de penser très fort à lui, que bientôt j’allais revenir pour le soigner encore mieux et que peut-être un jour il pourrait guérir quand-même. Les larmes aux yeux je rentrais pour partir en vacances le lendemain. J’en parlais tous les jours à mes parents, mais rien ne les fit changer d’avis. Au retour des vacances, la première chose à faire était d’aller voir mon Mister King. En arrivant je jetais mon vélo dans le pré à côté de son boxe et me demandais pourquoi je ne l’entendais pas hennir comme d’habitude quand j’appelais son nom. Je voyais la porte de son boxe ouverte et malgré mon espoir qu’il pouvait être au pré je compris en voyant le propriétaire baisser les yeux quand je lui ai demandé où était le poney. ‘Il est parti. Il était trop malade. Il souffrait.’ ‘Parti? Mais où?’ réclamais-je les larmes aux yeux. On ne m’a pas répondu. Il y a des choses qui ne sont jamais prononcé dans le monde des adultes. Une réalité silencieuse qui a presque brisé mon coeur enfantin. Finalement c’est peut-être l’aperçu de cette réalité qui me conduit à suivre aujourd’hui un projet qui doit germer depuis cet instant précis, plus triste qu’un jeune coeur peut comprendre mais jamais oublié. Mister King, le Refuge Pegasus te sera dédié à toi et à tous les enfants qui ne comprennent pas le silence d’un monde adulte.
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